4 avril 2017

Révolutionnaires au café



Robert Delaunay, Walter Mehring, 1923


« À Paris […] on vit s’ouvrir les premiers cafés, ceux des Arméniens Pascal et Grégoire d’Alep, et celui du levantin Procope, à la Foire Saint-Germain.
Les noms des cafés marquaient les champs de bataille sur lesquels cette singulière république, au cours de ses trois siècles de durée, avait combattu sans trêve contre l’alliance du soi-disant “bon goût” et du soi-disant “bon sens” humain.
[…] Au d’Harcourt, place de la Sorbonne, sommeillait, bercé pas les sons d’un orchestre féminin, le précepteur des dictateurs, Georges Sorel, ami et adversaire du socialiste chrétien Charles Péguy. Sorel enseignait sa théodicée de la “violence” et proclamait l’inutilité sociale de la littérature. Au café de la Rotonde où sévissaient les fauves, les premiers expressionnistes, le journaliste révolutionnaire Oulianov — alias Lénine — ruminait les statuts de la future censure policière qui, plus tard, préserverait le prolétariat encore mineur de tous excès de la part des artistes.
Au Café Central, à Vienne, son collègue Trotsky, qui devait être plus tard “général du peuple” (ou plutôt Léon Bronstein, l’écrivain) jouait aux échecs avec le ministre autrichien des Affaires étrangères. Il se trouvait dos à dos avec le pathologiste des maladies nerveuses, le docteur Freud. L’un devait faire échec et mat au capitalisme, l’autre à l’Éros. »

Walter Mehring, La bibliothèque perdue


n°519

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