11 novembre 2012

Le culot d’Oskar Maria Graf



Oskar Maria Graf, Georg Schrimpf (1889-1938), 1918

Jean-Michel Palmier, dans son livre Weimar en exil, cite un poème de Brecht qui évoque la figure de « l’auteur bavarois Oskar Maria Graf, dont le nom avait été oublié sur les listes des proscrits [dont les livres furent livrés aux autodafés de 1933], ce qu’il considéra comme une insulte infamante. Aussi écrivit-il à Hitler pour demander que cet oubli qui le déhonorait soit réparé :


Un poète expulsé, l’un des meilleurs, étudiant la liste
des livres brûlés, découvrit avec épouvante que les siens
avaient été oubliés. Il se précipité à son bureau,
La colère lui donnait des ailes, et écrivit dans une lettre aux despotes.

“Brûlez-moi !” — écrivait-il d’une plume rapide — Brûlez-moi !
Ne me faites pas ce coup-là ! Ne me laissez pas de côté !
N’ai-je pas

Toujours relaté la vérité dans mes livres ? Et voilà que
Vous me traitez maintenant comme un menteur ! Je vous l’ordonne :
“Brûlez-moi”. »
Bertolt Brecht, Poèmes IV (L’Arche)


En note de bas de page, Jean-Michel Palmier précise :
« Ni juif ni communiste, [Oskar Maria Graf] avait été curieusement omis sur les “listes noires”. Bien plus, ses ouvrages figuraient sur les “listes blanches” parmi les “bons ouvrages”. Cela montre que les nazis ne les avaient pas lus et s’en tinrent à sa qualité de “bavarois”. L’œuvre recommandée, Wir sind Gefangene…, était une autobiographie de jeunesse, particulièrement politique et virulente, qui avait déjà fait scandale. Cet oubli est d’autant plus curieux que son appartement avait été fouillé par les SA qi lui confisquèrent ses manuscrits. Horrifié à l’idée de passer pour un représentant du “nouvel esprit allemand”, O. M. Graf écrivit cette admirable lettre où il demandait ce qu’il avait fait pour mériter un tel déshonneur. Il demandait que ses livres fussent brûlés, purifiés par les flammes et ne traînassent pas entre les mains sanglantes d’une bande d’assassins. Les nazis répondirent à sa demande en organisant un autodafé spécial pour ses livres, devant l’université de Munich, et il perdit la nationalité allemande dès juin 1933. À de nombreuses reprises, O. M. Graf s’illustra par la même insolence. Il n’hésita pas à se présenter au Ier Congrès des écrivains soviétiques en costume bavarois, à la grande joie des enfants ravis de voir ce géant en culotte courte. Quand on lui proposa de rendre visite à Lénine dans son mausolée, il se déclara enchanté de “rendre visite à Blanche-Neige dans son cercueil de verre”. En exil en Amérique, O. M. Graf continua à s’exprimer dans la seule langue qui, par sa beauté, lui semblait mériter de détrôner l’anglais comme langue de communication universelle : le dialecte bavarois. »

Oskar Maria Graf, 1935

Rudolf Schlichter, Oskar Maria Graf, 1927



 Walter Schulz-Matan, Oskar Maria Graf, Jugend, 1927


Oskar Maria Graf fut un auteur régulièrement accueilli dans les pages du Simplicissimus entre 1923 et 1933. Né en Bavière 1894, émigra à New York — il s’obstina à n’y parler que le bavarois — où il mourut en 1984.


O. M. Graf & Eduard Thöny, Simplicissimus, 22 septembre 1924




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