17 février 2012

Job et son livre


J’ai lu et relu Job sous le titre Le Poids de la grâce, sans bien comprendre le pourquoi de ce titre que seule la deuxième traduction française avait adopté dans les années soixante.
Ce roman de Joseph Roth fut publié en 1930 à Berlin, et dès 1931 à Paris. Il vient d’être traduit pour la troisième fois, et son titre original a été rétabli. Qu’il soit lu, c’est une merveille.
Par ailleurs, dans les années vingt en Europe, Joseph Roth fut un chroniqueur itinérant pour plusieurs journaux allemands où il fit montre d’une rare clairvoyance.

« Aucun musée, aucune église ne saurait me dédommager du sinistre spectacle que m’offre, par exemple, la devanture d’une librairie dans une petite ville. L’on y trouve une telle abondance représentative de bêtise, de dilettantisme lyrique, d’art régionaliste et de fausses idylles, d’attachements verbeux à une glèbe de papier journal ou de carton, tout juste bonne à empaqueter un chapeau haut de forme, et totalement dépourvue de tout sentiment, graine ou semence ! De cette grisaille de sépulcre, répandue sur des millions de “camarades”, voilà que surgit, à la lumière du jour, une littérature d’écrivains-fantômes qui jouissent de gros tirages et se moquent des lois sur l’immortalité et la  pornographie parce qu’ils sont pour devise la “chasteté”, la “virilité” barbue, et ouvrent ainsi la voie à un autre grandiose sous le signe du Troisième Reich. Quelle énorme quantité de poison dans ces calices d’un bleu de violette ! De la face énergique du didacteur welche au regard noblement tourné vers le nord, et au menton qui fait songer à un casque d’acier renversé, à la figure d’un Adolf Hitler dont les grimaces ont devancé celle de ses électeurs, et où chaque partisan peut constater, comme dans un miroir, que tout est déjà là : les Dinter* et les Lauff**, la bête immonde et son âme, le doré sur tranche et le filet de sang. Que l’on mette la table ! Que le petit âne se couche ! Que l’on sorte les matraques ! (…) »
* Écrivain à succès qui fut député nazi.
** Écrivain régionaliste annobli par Guillaume II.

Lettre du Hartz, 14 décembre 1930, Frankfurter Zeitung (trad. Jean Ruffet, in Croquis de voyage, Seuil)



Le 8 octobre 1930, Roth écrit à Stephan Zweig, de l’hôtel Foyot, à Paris :
« (…) Le 13, je pars d’ici. J’entreprends un circuit des villes allemandes pour le compte de la Frankfurter Zeitung. Mon livre [Job] sortira après-demain. Je suppose que vous avez entre-temps reçu de ma maison d’édition une lettre importune vous demandant un compte rendu. J’espère que vous ne m’en voudrez pas. (…) »
Le 20 novembre, dans une lettre expédiée de Goslar*, toujours à Zweig avec lequel il tint une correspondance nourrie, il revient sur la fortune de Job :
« Puisse Dieu vous écouter et faire que vous ayez raison quand vous évoquez les chiffres de vente élevés de Job. Jusqu’à aujourd’hui, 8500 exemplaires ont été vendus, c’est beaucoup pour moi. Mais ce n’est pas assez au regard des problèmes financiers que connaît la maison d’édition Kiepenhauer. Ni Feuchtwanger ni Heinrich Mann ne se vendent bien. (…) »

* Ville de Basse-Saxe, au pied du massif du Harz.



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